Après les jeux paralympiques, le besoin d’un effort titanesque pour le handicap

Nous avons vibré devant la cérémonie d’ouverture de Thomas Jolly, et sa mise en scène survoltée pour nous, et révoltante pour nos adversaires. Nous avons aussi vibré devant celle des Jeux Paralympiques, devant les athlètes et leurs exploits, la joie des victoires toujours collectives même quand une seule personne monte sur le podium.

Les Jeux de Paris 2024 ont été le grand spectacle promis, la fête des sportifs et des amoureux du sport. La joie, la beauté, la liberté que le sport nous apporte au quotidien ne se résument pas à ce moment. Il y a un besoin de poursuivre l’effort après le réconfort, car le contraste entre la vitrine que la France a montré au monde et le pays réel est saisissant. Déjà à Londres en 2012 où les jeux paralympiques ont changé de dimension et ont grandement été popularisés, les politiques d’accessibilité n’ont pas suivi.

Le validisme, le système d’oppression des personnes handicapés, ne se fonde pas seulement sur des bases de santé et de réalité biologique, mais sur l’intégration de ces handicaps. Or, la France est championne en la matière, déniant notamment toute représentation aux associations de premiers concernés leur préférant les institutions qui ont des intérêts économiques dans la gestion des personnes. Notre pays a été épinglé par l’ONU en 2021 pour non-respect de la Convention Internationales des droits des personnes handicapées. Plus de la moitiés des entreprises de plus de 20 salariés préfèrent frauder la règle 6 % d’employés handicapés imposée par la loi. Les manques cruels de moyen dans l’éducation touchent particulièrement les élèves handicapés qui sont plus de mille à ne pas avoir pu faire leur rentrée alors même que le monde entier célébrait les athlètes à Paris d’après la CGT.

Il faut aussi aborder la question de la création d’handicap car il y a un problème de prévention avec 2500 accidents du travail en France chaque jour. La sécurité des employés et des contractuels est complètement négligée dans le monde de l’entreprise, surtout depuis la suppression des CHSCT par Macron en 2020. Le cynisme du macronisme sur le handicap va souvent jusqu’à l’indécence quand on pense, au-delà des politiques visant à baisser la sécurité au travail, à la violence que l’État exerce directement sur ses opposants : que ce soient les Gilets jaunes mutilés ou les activistes jetés du haut d’un arbre, la force de l’ordre mutile pendant que le monarque s’affiche en champion de l’inclusion du handicap.

Ne soyons pas dupe, le handicap est une discrimination intimement liée aux inégalités sociales : quand on est pauvre et qu’on exerce un métier pénible ou dangereux, voire plusieurs, on a un risque plus grand de devenir handicapé, et dans l’autre sens, les handicaps visibles ou invisibles sont des freins considérables pour l’accès à une vie bonne et à des revenus décents. Les Jeux paralympiques sont pensés pour apporter de la dignité aux handicapés, mais ce n’est pas de la dignité dont ils ont besoin, c’est d’égalité.

Les jeux de Paris 2024 ont certes apporté une meilleure diffusion des Paralympiques et ont popularisé le handisport : mais sur place, l’accessibilité a en grande partie été permise par des véhicules spécialisés affrétés pour l’occasion. Paris reste massivement inaccessible, avec seulement 6 % des stations de métro contre 100 % pour d’autres métropoles européennes comme Barcelone ?

Et se pose aussi la question des débouchés sportifs pour les premiers concernés. Les clubs parasportifs sont rares, et les handicapés très majoritairement pauvres et mal-logés n’y ont pas aspect. En l’absence d’une politique sociale et un égal accès aux logements sociaux (seuls les logements sociaux sont 1 % accessibles à tous les handicaps.), le sport restera un luxe quand il n’est pas une injonction à faire des efforts vains et douloureux pour imiter un corps valide.

En l’absence de politiques sociales et d’inclusion et de lutte contre le validisme, le grand spectacle paralympique raconte donc une autre histoire : celle de l’individu seul qui doit se dépasser, passer outre le handicap qui ne serait qu’un drame personnel, une faiblesse des corps, un problème à surmonter pour atteindre la norme valide. Sauf que tous les défis quotidiens et politiques sont effacés qui font partie du handicap et de sa construction sont effacés. Distinguant alors les bons handicapés qui ne se plaignent pas des mauvais qui seraient incapables de dépasser leur condition et que l’on garde loin du reste de la population à l’abri des institutions.On reste dans les clichés validistes qui vont de l’héroïsation et de la compassion : « Quel courage, mais je n’aimerais pas être à leur place ».

Il y a un paradoxe dans l’esprit olympique qui se fonde quand même sur le fait de différencier les êtres humains selon leur performance alors que le dépassement de soi ne repose pas que sur la volonté, mais sur l’émancipation collective de norme dominante. Il est dommage que les jeux paralympiques continuent de se concentrer sur les handicaps visibles. Ainsi, les Deaflympics sont distincts des paralympiques alors même qu’ils ont été créés il y a un siècle lors des précédents jeux de Paris. De plus, les handicaps psychiques, pourtant nombreux dans la population, est très peu visible : environ 150 sur les 4 400 participants à ces Jeux, six parmi les 237 Français, pour seulement trois sports et 19 épreuves sur 549. Ce qui ne change pas l’image erronée du handicap, encore trop largement associé à la mutilation.

Les athlètes handicapés sont importants, car ils sont nombreux à porter une fierté contre la norme valide. Et dans toutes les communautés discriminées nous connaissons l’importance de cet élan qui défie ce regard de crainte, de mépris, voire de haine qui nous assigne à la déviance. Pour que la honte s’inverse, il faut aussi que les efforts aillent au-delà du spectacle et une politique d’inclusion ferme, déterminée et à l’écoute des associations de premiers concernés. À ceux et celles qui nous rétorquent le prix des investissement pour l’accessibilité ou des aides, humaines et financières, à l’autonomie, nous n’avons qu’à rétorquer une chose : ce qui coûte vraiment cher, ce sont nos millions de concitoyens, qu’ils soient en institution ou non, qui sont privés d’une vie bonne et d’un égal accès aux lieux, aux loisirs, à l’éducation et à l’emploi !

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