Pour une autre loi asile-immigration

Paru dans “L’Intérêt général, la revue du Parti de Gauche”, numéro 8, juillet 2023.

Le Titan contre les réfugié·es

            600 morts. C’est le terrible fardeau que l’humanité toute entière doit porter, une fois encore. Comment en est-on arrivés là ? Pourquoi le gouvernement s’entête-t-il à proposer un nouveau texte de durcissement du droit d’asile ? Est-il malhonnête et cynique ?

Le dimanche 18 juin dernier, l’Europe se saisit d’effroi face au pire : le naufrage d’un chalutier plein à craquer de femmes, d’enfants et d’hommes, tragiquement décédé•es pour la plupart dans d’atroces souffrances, dans la pénombre, à fond de cale et dans le silence coupable des gardes-côtes grecs.

Si la Grèce se rend coupable de l’innommable dans cette catastrophe majeure, c’est tout l’Occident qui paye là, quelque part, son dogmatisme. L’exclusion et le clientélisme nationaliste a toujours des conséquences mortifères. Alors que la France, terre d’asile et d’intégration historiquement universaliste, a toujours recueilli et protégé les femmes et hommes fuyant la misère pour les placer au coeur de la vie de cité et a toujours donné les conditions matérielles de leur émancipation, on s’y attaque aujourd’hui avec haine. La frénésie fanatique de l’extrême-droite infuse, sème la peur panique de se voir remplacé•e, soi et les siens, et pourrit l’espace médiatique à la moindre opportunité. Ainsi, en obéissant à la loi de l’audimat et en se laissant corrompre par l’absurde xénophobie, les chaînes d’info couvrent une actu’ naufrage en Méditerranée pendant 48 heures — accueillant leur balai habituel de charognards affirmant sans ciller que le problème, ce sont les passeurs et leurs complices les associations — tandis que le feuilleton de l’équipage du sous-marin disparu autour de l’épave du Titanic, celui — richissime — du « Titan », occupa l’essentiel des débats en plateau. Cela en dit long.

C’est dans ce contexte délétère, dans lequel le portefeuille et la couleur de peau vous rendra visible ou invisible, que le très droitier Ministre du fait divers Gérald Darmanin dégaine une énième loi « Asile et Immigration ». Ou du moins, tente de dégainer. Enfin, la propose, la retire du fait du climat social éruptif, re-propose, rétropédale faute de majorité, puis l’agite comme un chiffon rouge pour la rentrée, cette fois-ci. C’est donc reparti, après le simulacre de démocratie offert par 49.3 sur les retraites, pour une séquence raciste et xénophobe.

L’immigration réduite à une machine à main d’œuvre corvéable à souhait

La figure de l’étranger est l’une des meilleures pour incarner l’ennemi ou le péril contre lequel l’État doit protéger sa population […] Avec la lutte contre l’immigration, l’Etat se donne sans trop de difficultés, une occasion de prouver qu’il existe et que son existence est légitime” (Karine Parot, Carte blanche).

Nous l’avons dit, dans la droite-lignée de sa vision sécuritaire et excluante, le gouvernement a déposé un énième projet de loi relatif au durcissement des conditions d'accueil. Ce premier projet a été totalement inspiré par la droite, et sa version extrême, évidemment défendue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Ce dernier, incapable de trouver une majorité sénatoriale à son texte et fragilisé par un mouvement social historique contre la réforme des retraites a fini par repousser le projet à la prochaine session car ses alliés préfèrent toujours l’original à sa mauvaise copie. 

À plusieurs égards, ce dernier projet de loi s’inscrit dans la continuité de la précédente réforme de 2018, élargissant encore les dispositifs exceptionnels mis en place au détriment des droits et libertés fondamentaux garantis par le bloc de constitutionnalité et par les traités ratifiés par notre pays. Le couple humanité et fermeté a cédé sa place à la suspicion et l’enfermement de tous-tes. 

Il vient une fois de plus nourrir l’inflation législative dont fait l’objet le droit des étrangers depuis le choc pétrolier de 1973, dans le but clientéliste de coller à la propagande d’une droite et d’une extrême droite haineuse et xénophobe qui ne cesse de demander le durcissement des politiques migratoires, avec la même obsession des chiffres, la volonté d’éloigner plus et plus vite, et d’éviter à tout prix le passage devant le juge, laissant ainsi croire que la figure de l’étranger serait responsable de tous les maux.

Si ce texte, négocié avec les droites, était de nouveau examiné par la représentation nationale, il s’agirait du huitième projet de loi majeur réformant des points essentiels du droit à l’asile et au séjour des étrangers en France, le 29e texte depuis 1981 et le 2e texte de la Macronie. 

Or, ce qui est intéressant, c’est que dans son avis, le Conseil d’État déplore la complexité croissante des actes, des titres et des procédures. Cela résulte d’une stratification des règles en compliquant la maîtrise du droit tant pour les agents en charge de sa mise en œuvre que pour les personnes concernées, et contribue à susciter la défiance ou l’incompréhension de l’opinion publique.

Fustigeant la pauvreté de l’étude d’impact, il déplore l’absence de tout élément statistique, de tout diagnostic des réformes précédentes permettant d’analyser les difficultés d’application rencontrées. Il déplore aussi l’inexistence d’un bilan de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont l’objet même est étroitement lié à certaines mesures du projet.

De surcroit, la fameuse liste des métiers en tension s’annonce être une usine à gaz, qu’il s’agirait d’actualiser tous les ans. L’accueil en est réduit à la condition de trimer quelle que soit sa spécialité. On s’attaque à la collégialité de la Cour Nationale du Droit d’Asile en généralisant le recours au juge unique.

 

Convention Citoyenne sur l’Immigration : participation citoyenne ou simulacre de consultation ?

La dernière fois qu’une Convention citoyenne a fait parler d’elle, c’est quand Emmanuel Macron nous a promis que le chantier immense de l’écologie serait enclenché pour de bon avant de sucrer l’ensemble des propositions des citoyen•nes tiré•es au sort pour imaginer, fort•es de leur formation sur le tas (et accessible dès lors qu’on s’en donne les moyens), les solutions radicales pour penser la planification écologique. Du fait de la collégialité de la démarche — incorruptible du fait d’une désignation par le sort — il n’était pas étonnant que les propositions se rapprocheraient plus du programme de la France insoumise que celui de Renaissance…

Véritable produit d’appel en Macronie, le nouvel élément de com’ de la « Convention citoyenne » est fait pour faire croire à un semblant d’écoute du Président, « qui a changé », parait-il, après avoir découvert pendant les Gilets Jaunes le peuple qu’il gouvernait à coup de trique.

Après celle sur la fin de vie, les député•es de la minorité présidentielle nous refont ce coup médiatique à pas cher sur le thème l’immigration. Ils se disent, par le biais d’une tribune dans Le Monde, « favorables » à une Convention Citoyenne sur l’immigration. Une telle démarche apporterait plus de questions que de réponses. On peut faire le pari, malgré le climat franchement xénophobe, que le panel de citoyen•nes s’éveille.

Qu’il se rende compte que le dérèglement climatique rend inextricable les flux de population. Que l’humanité est la seule espèce qui ne dépend pas de son biotope de naissance. Que les honnêtes gens, chassés de leurs terres chéries par les pouvoirs tyranniques et les terrorismes, subissent une détestation construite de toutes pièces par les marchands de misère du RN. Que l’extrême-droite se radicalise du fait d’un discours ambiant de plus en plus violent. Qu’en attendant, les solutions ne sont pas trouvées. Que le Nord, après avoir dépouillé, colonisé, après s’être adonné à un extractivisme industriel, laisse mourir, bloque ses frontières aux humains (mais pas aux marchandises) et arme ses canons.

En définitive, les idées les plus immondes dans le débat sur l’accueil ont de beaux jours devant elle.

Pourtant, ce bateau abîmé en mer, donnant la mort à ces centaines de personnes, fait penser à la mort du petit Aylan, ce syrien mort noyé à l’âge de 3 ans, dans une tentative désespérée de tenter la traversée avec sa famille, fuyant la guerre. Sa photo avait bouleversé le monde entier. Aujourd’hui, l’émoi semble bien moindre, comme si on s’était habitué collectivement à ces atrocités.

Une tendance s’observe. La haine de l’Autre et de l’étranger fantasmé progressant partout en Europe se heurte déjà à son rêve insensé — et à moitié avoué — de préserver une soit-disant civilisation judéo-chrétienne. Pour accomplir son but, elle veut fermer les frontières. Or, cette obsession bas-du-front nie des réalités simples.

Le changement climatique est entamé et s’accélère, provoquant l’inexorable mouvement de population car les migrations sont une caractéristique de notre espèce, la seule à ne pas être attachée à son biotope d’origine. Les sociétés se créolisent depuis toujours, et vouloir réprimer un fait anthropologique aussi structurant relève de l’ignorance crasse. Disons enfin que l’immigration est un apport, une consolidation, et une ouverture pour un pays.

Nous, le camp de l’humanisme par-delà des frontières, nous inscrivons en faux contre cette course en avant toujours plus à droite qui ne mène jamais nulle part. Plus exactement, celle-ci mène en fait à l’avilissement de ce gouvernement, s’abaissant à croire qu’il sera en capacité proposer une copie néo-libérale dite « pragmatique » plus aguicheuse que l’original bleu marine. Ce mirage invraisemblablement dangereux est la source de la percée des idées d’extrême-droite. Confrontons notre propre modèle de contre-société, réclamons un accueil digne et inconditionnel des personnes qui ne demandent qu’à s’insérer et participer à la vie de la communauté nationale, mais aussi les conditions matérielles qui garantiront cette émancipation.

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Face à ces attaques contre le droit à disposer de son corps, il faut une riposte unitaire !